BRÉSIL • Le combat des casseuses de noix de babaçu

Publié le par Admin.

Dans la région du Nordeste, les femmes récoltent les noix de babaçu, une variété de cocotier qui pousse spontanément en lisière de la forêt amazonienne. Face aux propriétaires terriens qui défrichent, elles résistent… Lire la suite...
  Un jour, Lula, notre président, est venu ici. Et il nous a toutes embrassées. Une par une.
Mon Dieu, comme c’était beau !”
“Babaçu livre” [Babaçu libre], cette femme de 66 ans a des allures de leader de groupe rock. Elle est d’ail­leurs la meneuse de l’Encantadeiras Band [Enchanteresses Band], douze femmes qui dénoncent en musique à travers tout le Brésil les injustices sociales et la dureté de la vie dans le Nordeste, la région plus pauvre du Brésil. Dona Francisca est aussi ­responsable pour l’Etat de Piauí de la communication du Mouvement inter-Etats des casseuses de noix de babaçu [MIQCB], un réseau qui fédère depuis 1991 toutes les organisations qui se battent pour que les femmes brésiliennes puissent récolter librement les fruits du babaçu.

Cet arbre de la famille des palmiers pousse spontanément dans cette région défrichée à outrance par les propriétaires terriens, qui préfèrent récolter du soja. Parmi les nombreux conflits qui agitent le pays, cette bataille pourrait sembler anecdotique, mais le babaçu est vital pour l’économie des paysans du Nordeste.

 Et c’est aussi un symbole. Un peu comme la feuille de coca en Bolivie. Dans de nombreuses régions, le babaçu représente 60 % des revenus des familles, et les agriculteurs l’ont presque élevé au rang de divinité. Ils élisent chaque année le roi des babaçus – l’arbre le plus majestueux – et Miss Babaçu – la cueilleuse la plus habile – au cours d’une fête où les danses et la nourriture sont dédiées à la plante. Dans le seul Etat de Piauí, les babaçus s’étendent sur 2 millions d’hectares ; dans l’Etat de Pará ils poussent sur 1,8 million d’hectares.

Passé la frontière entre le Pernambouc et le Piauí, les babaçus deviennent les rois du paysage. De leurs noix on extrait une huile dont on fait du savon et une farine dont on fait de la pâte. La co­quille est utilisée comme combustible. “Le babaçu est notre mère”, explique Dominga, une femme de 54 ans portant une longue tresse noire et dont la robe étriquée ne dissimule pas la maigreur. Dans les campagnes du Nordeste, toutes les femmes sont quebradeiras, littéralement “casseuses” : elles détachent les fruits des arbres et elles les vendent.

 Mais cette pratique est de fait interdite. Les terrains sur lesquels poussent ces palmiers sont la propriété des fazendeiros [propriétaires terriens], qui considèrent que les “casseuses” volent les noix parce qu’elles les récoltent sans autorisation. Mais c’est la survie de ces femmes et de leurs familles qui est en jeu. Souvent, leurs incursions sont réprimées physiquement, par des hommes en armes.

 A ce mé­lange complexe d’intérêts, d’interdictions et de contradictions il faut ajouter le problème de l’environnement. Les latifundistes, peu sensibles à l’écologie, ont en effet commencé à défricher les plantations. Pour empêcher les femmes de pénétrer sur leurs terres, mais aussi pour vendre le bois aux industries sidérurgiques qui s’en servent comme charbon. Et surtout pour pouvoir se consacrer à la monoculture du soja, plus lucrative.

C’est pourquoi les quebradeiras ont commencé à faire valoir leurs droits. Et à se battre. Ces dernières années, elles ont enfin réussi à se faire en­tendre : douze communes ont ­ap­prouvé des arrêtés autorisant les femmes à ramasser les noix pour en faire l’usage qui leur convient, sans aucune contrepartie – suivant le principe que le babaçu, étant un arbre qui pousse spontanément, n’est la propriété de personne. A contrario, dé­truire ces arbres est interdit et les infractions sont punies d’amendes salées. Le MIQCB est en train de changer beaucoup de choses.

Soutenues par des ONG, les associations qui font partie du réseau développent les projets les plus divers : certaines ont un rôle de conseil auprès des quebradeiras des divers villages, d’autres entreprennent la construction de magasins et d’écoles. Au Brésil, 9 % de la population souffre de malnutrition, mais, dans la région du Nordeste, la proportion est encore plus élevée. Maria Mendes, 35 ans, une quebradeira d’un petit village du Piauí, casse les noix depuis l’âge de 12 ans.

Longtemps elle a eu honte de ce travail. Aujourd’hui, elle est en est “plutôt fière”.
Dans le bourg de Lago do Junco, dans l’Etat du Maranhão, la directrice de la Coopérative de petits producteurs, véritable chef d’entreprise, explique : “Nous sommes concurrentiels, nous vendons l’huile de babaçu 1,85 real le litre [environ 1,05 dollar] alors que son prix officiel sur le marché international est de 2,15 dollars.” Les acheteurs sont des firmes américaines et anglaises, comme The Body Shop.
La culture du babaçu est au cœur d’une série de techniques agroforestières, dont aucune n’implique l’emploi de pesticides. Dans les communes où ont été pris des arrêtés pour le libre accès aux palmiers, la vie est devenue plus facile. Dans les autres, le MIQCB dénonce chaque jour la violation des droits des travailleurs, l’exploitation des femmes, la déforestation. Mais les quebradeiras ne semblent pas décidées à baisser les bras. “Nous arrêter ?Pas question. Maintenant que nous savons nous organiser, nous continuerons jusqu’au bout.” se souvient, émue, dona Francisca. Avec ses cheveux courts et crépus, sa casquette de base-ball et son tee-shirt sur lequel est écrit s’étonne dona Francisca.
Gabriella Saba D
(La Repubblica delle Donne)


Source : Courrier international
Source photo : FAO
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